Shirin Abu Shaqra #fiche

Sulayma

Quelle relecture Shirin Abu Shaqra propose-t-elle de la chanson Sulayma ?

Shirin Abu Shaqra Image extraite du film Sulayma, 2014 © Shirin Abu Shaqra
A la fin des années 1950, Nawfal Elias a écrit un monologue amoureux interprété par Zakia Hamdan : la complainte, écrite en langue arabe classique, d’une personne trahie par sa bien-aimée Sulayma.

Qui est Sulayma ? Et de quelle trahison s’agit-il ? Dans ce clip contemporain avec remasterisation audio, les images poétiques trouvent une nuance plus dynamique. Dans ce monologue, le poète invoque Salma, l’amante inoubliable qui l’a trahi. Mais c’est Zakia Hamdan, une femme, qui chante la trahison de Salma, une autre femme, ce qui brouille le sens de la chanson, car dans la musique arabe classique, le « je » est généralement, par souci de pudeur, masculin. Doit-on y voir la suggestion de l’homosexualité, ou est-ce simplement le poète qui a choisi de déroger à la tradition classique ?

Shirin Abu Shaqra décide de s’interroger au-delà des sentiers battus en proposant une métaphore inédite qui fait travailler notre imagination sur la notion de diva et sur l’époque. Pour l’artiste, Salma n’est pas l’amante perdue mais une ancienne diva bien connue qui a été trahie par le temps qui passe. Autrefois adorée du public, elle finit oubliée de tous et recluse. Cette métaphore n’est pas sans rappeler des destins de divas qui ont révolutionné la musique arabe et qui pourtant sont désormais oubliées comme Mounira al-Mahdiyya, Laure Dakache, Wadad, Nadra Amin pour n’en citer que quelques-unes.

Cette nouvelle lecture de la chanson impulse de nouvelles images. Elles font voyager dans un univers glamour, celui du Caire des années 1920, qui révolutionne la musique arabe avec ses cafés-concerts et ses chansons courtes enregistrées sur disques phonographiques. A la même époque, les films égyptiens émergent et rencontrent leur public, associant la musique aux images. Ces comédies musicales permettent la diffusion des chansons mais aussi celle de la figure des divas. Si la chanson choisie date de 1959, Shirin Abu Shaqra travaille sur un univers visuel qui rappelle un âge d’or qui s’étale sur plusieurs décennies.

Ce voyage poétique et onirique de Shirin Abu Shaqra ne peut être compris sans que soit pris en compte le travail d’historienne de l’artiste. En effet, le film n’est pas seulement une pièce de création mais aussi une pièce historique puisque l’artiste a travaillé à restaurer l’enregistrement de la chanson. Passionnée de musique arabe, très influencée par les voix des femmes, Shirin Abu Shaqra a réinvesti tout son savoir dans cette œuvre, pour rendre compte d’un univers riche d’histoires, révélateur d’évènements sociaux, politiques et artistiques qui ont eu une influence directe sur la place des femmes dans l’espace public.
Hajer Ben Boubaker

Partager cet article sur :