Les pionnières du cinéma #fiche

Silence, on tourne : La Chanson du cœur, le premier film sonore égyptien

Pourquoi le film La chanson du cœur a-t-il eu un rôle clé dans l’histoire du cinéma égyptien ?

La chanson du cœur, 1932 Collection La cinémathèque française © La Cinémathèque française / Marie-Claude Behna et Fouad Nahas
La Chanson du cœur (Onchoudet el-Fouad), réalisé par Mario Volpe en 1932, est le premier film sonore égyptien. Avec cette œuvre pionnière, l’Égypte fait ses premiers pas dans une invention appelée à révolutionner la cinématographie mondiale. La Chanson du cœur constitue les prémices d’une identité cinématographique égyptienne où le son, et plus particulièrement la musique, devient l’élément central, orientant l’industrie égyptienne vers la comédie musicale.

L’invention du cinéma sonore a des effets immédiats sur le public : elle permet de produire des films dans la langue du pays, et de lier l’industrie musicale à l’industrie cinématographique en mettant en scène les chanteurs et chanteuses phares de l’époque.
Cette première expérience sonore est hybride, à mi-chemin entre cinéma muet et parlant. Comme le note Hervé Pichard, directeur de la Cinémathèque française : « Certaines parties se rapprochent du cinéma des années 1920, avec ses passages silencieux et ses traditionnels cartons aidant à la compréhension de l’histoire, d’autres parties sont dialoguées et chantées, annonçant le genre en devenir. »

La mise en scène de Mario Volpe se caractérise par un cadrage plus simple que dans les films muets, afin de mettre en valeur la prouesse technique que constitue la synchronisation des mots et de l’image. Le style est simple, avec de nombreux plans fixes sur le visage des acteurs. Ce film révolutionnaire a été tourné entre deux rives : les séquences parlées et chantées en intérieur ont été tournées en France, dans les studios Gaumont, et les plans en extérieur ont été filmés en grande partie dans les studios Ramsès d’Embabeh, en Égypte, grâce à une équipe cosmopolite composée d’Égyptiens, de Français et d’Italiens.

La Chanson du cœur bénéficie du prestige de son casting : des légendes de la musique comme la célèbre chanteuse Nadra et le chanteur et compositeur Zakaria Ahmed, ainsi que des figures de proue du florissant théâtre égyptien tels que Georges Abiad, Dawlat Abiad et Abdel Rahman Roshdi. La présence de Zakaria Ahmed, qui est aussi le compositeur de la bande originale, est notable. Ce fut en effet l’un des plus importants compositeurs de l’âge d’or de la musique égyptienne, avec à son actif 56 opérettes et 1070 chansons, dont de nombreux titres composés pour Oum Kalthoum.

Le travail de la Cinémathèque française a permis de donner un nouveau souffle à cette œuvre oubliée. Les négatifs nitrates des images du film ont été découverts dans ses collections et ont permis une restauration partielle en 2001. Il manquait néanmoins plusieurs extraits sonores, ce qui a donné lieu à une recherche dans plusieurs pays. La Chanson du cœur, morceau éponyme phare du film, a été retrouvée grâce au travail de conservation de la Fondation pour l’archivage et la recherche de la musique arabe (AMAR) sur un disque Shellac (ancêtre du disque vinyle) 78 tours en 2008. Cette découverte a permis de finaliser la restauration.

Bien qu’encore incomplet et abîmé, le film est une archive d’une valeur inestimable pour tous les passionnés de cinéma et d’histoire.
Hajer Ben Boubaker

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