Fayrouz #fiche

Fairouz, une voix angélique surgie du paradis perdu

Pourquoi Fayrouz est-elle devenue la voix du Liban ?

Fayrouz dans le film « Le Vendeur de Bagues » (Bayâ‘ al khawâtim) Réalisé par Youssef Chahine Liban, 1965 Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde © Abboudi Bou Jawde
Fayrouz, chanteuse (Zokak el-Blat, Liban, 1934)

Nouhad Haddad, qui deviendra Fayrouz (signifiant turquoise), voit le jour vers 1934 à Beyrouth au sein d’une famille très modeste fraîchement débarquée de la montagne. Elle coule une enfance paisible rythmée par la vie familiale, l’école et les vacances à la montagne chez sa grand-mère où elle goûte avec plaisir à la simplicité de la vie du village dénué d’électricité et d’eau courante.

Sa famille ne possède pas de poste de radio, ce qui ne l’empêche pas d’écouter quotidiennement les chansons qui lui parviennent depuis celui des voisins. Elle apprend ainsi tout ce qu’elle entend. Les chansons qu’elle affectionne particulièrement sont celles de Farid al-Atrache et d’Asmahan.

A l’école, ses professeurs remarquent ses aptitudes musicales et lui recommandent de s’inscrire au conservatoire pour y étudier la musique. Elle suit leurs conseils et très vite elle chante régulièrement à la radio avec ses camarades du conservatoire en renfort de la chorale. Rapidement, elle est employée dans la chorale de la radio de manière permanente. Les concerts ont lieu en direct à l’antenne, il n’y a jamais d’enregistrement préalable en vue d’une diffusion en différé.

C’est à cette période qu’elle fait la rencontre des frères Assi et Mansour Rahbani qui ont un programme à la radio. Eblouis par sa voix, les deux frères commencent à composer pour elle. Le trio démarre alors son parcours musical, et Nouhad, devenue Fairouz à la scène, quitte la radio.

En 1952, elle enregistre avec Assi et Mansour sa première chanson, ‘Itab (Réprimande), laquelle est dans la plus pure tradition du maqam arabe.

Mais les frères Rahbani apprécient également la musique classique, les chansons occidentales et le tango argentin. Ils ont une connaissance intime de ces musiques qu’ils jouent, et savent écrire et orchestrer.

Ensemble ils créent une musique originale tout à la fois profondément enracinée dans la tradition arabe et puisant dans les instruments, les timbres et les techniques d’écriture des musiques savantes et populaires occidentales.

Ils sont le plus souvent eux-mêmes les auteurs des textes de leurs chansons, en dialecte libanais comme en arabe classique. Et mettent aussi en musique les grands poètes libanais de la Nahda, notamment Khalil Gibran, Mikhail Nouaïma, ainsi que leurs contemporains Saïd Akl et Joseph Harb.

Ces paroles poétiques explorent les grands thèmes de l’amour, de la séparation, de l’attachement à la terre et de la liberté dans une patrie heureuse. Ils expriment aussi la quête d’un bonheur simple, comme un fantasme de pureté de la vie au village dans la montagne libanaise. Ce thème est particulièrement présent dans A’tini n-Naya Wa Ghanni (Donne-moi la flûte et chante), adapté d’un poème de Khalil Gibran ou encore dans les chansons de l’album Yes’ed Sabahak Ya Helw (Bonjour mon beau).

Au plan personnel Farouz déclarera plusieurs décennies après le décès de Assi que le couple vivait assez reclus, ayant relativement peu de relations sociales en dehors du travail artistique et de la famille. Fayrouz a poursuivi ce qu’elle a toujours connu, à savoir chanter et demeurer en famille. Elle dira des années plus tard que c’est ce qui lui convenait le mieux.

Elle confiera également qu’elle s’en remettait totalement aux choix de Assi qui décidait de tout. Pour autant, elle dit s’être sentie à la place qu’elle a toujours voulu occuper, ayant pleine confiance en Assi et Mansour. Ensemble ils ont signé une page qui restera gravée dans l’histoire moderne de la musique du Liban et du monde arabe.

Fairouz devient ainsi l’incarnation du Liban aux yeux des siens. Elle est le porte-voix de l’espoir d’un retour au paradis perdu pour l’ensemble du monde arabe qui a subi de plein fouet la création de l’Etat d’Israël et la guerre de 1948 qui s’en est suivie.

Cette posture de la diva gagne en ampleur avec le virage sinistre que prennent les événements politiques au Liban et dans le Proche-Orient à partir de 1967 lors de l’échec cuisant des Arabes face à Israël, de l’exil forcé de milliers de Palestiniens et de l’éclatement de la guerre civile libanaise en 1975.

L’annonce de jours funestes commence à apparaître avec gravité dans les chansons de Fairouz.
Qaïs Saadi

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