Oum Kalthoum #fiche

Une figure féminine parmi les hommes : l’époque du royaume d’Egypte

Pourquoi Oum Kalthoum a-t-elle occupé une place particulière dans la société à l’époque du royaume d’Egypte ?

Antoune Albert Gros plan d’Oum Kalthoum et du Sphink de Gizeh, 1972 Paris, Photothèque de l’IMA ©IMA
Oum Kalthoum, « la plus grande chanteuse du monde arabe » (Tamây al-Zahâyra, Égypte, vers 1900 - Le Caire, Égypte, 1975)

De son enfance dans la campagne du delta du Nil aux hautes sphères de la société égyptienne, Oum Kalthoum a évolué sa vie durant dans un milieu dominé par les hommes.

Alors qu’elle est encore une fillette de huit ans fréquentant l’école coranique où elle reçoit une instruction, notamment en langue et en poésie arabe, ainsi qu’en cantillation coranique, Oum Kalthoum commence à accompagner son père, imam et hymnode musulman, qui chante des hymnes religieux lors des mariages, des circoncisions et de divers événements dans la région. La troupe est formée de son père et d’elle-même ainsi que d’un petit groupe d’hommes parmi ses proches. Cette période dure environ de 1910 à 1923.

Le Caire où elle arrive en 1923 est en pleine mutation. Depuis le début de la révolution de 1919 qui aboutit à l’indépendance de l’Egypte en 1922, l’évolution des mentalités va grandissant. De nombreuses femmes de la haute société avaient pris part aux manifestations réclamant la fin du mandat britannique. Le féminisme se développe au sein des milieux intellectuels et éclairés. Hoda Chaaraoui, et de nombreuses femmes à sa suite, avaient retiré leur voile en public.

Outre son père qui continue d’être présent à ses débuts cairotes, ce sont exclusivement des hommes qui se chargent de la nourrir musicalement et artistiquement, et de l’introduire dans la société. Le chanteur de l’époque de la Nahda Abu al-Ila Mohammad, qui décède en 1927, le compositeur Ahmad Sabri al-Nagridi, les frères Mustafa et Ali Abdel Raziq, deux éminents personnages des hautes sphères religieuses, le poète Ahmad Rami et le compositeur et joueur de oud Mohammad al-Qasabgi. Contrairement aux premiers qui sont des figures paternelles pour la jeune fille vingtenaire, Ahmad Rami et Mohammad al-Qasabgi sont de sa génération bien qu’exerçant un ascendant culturel et social sur elle. Ces deux hommes lui resteront fidèles leur vie durant.

Peu à peu Oum Kalthoum construit autour d’elle un cercle fidèle de musiciens, de poètes et de relations sociales composé quasi exclusivement d’hommes.

En dix ans, elle se hisse aux sommets de la gloire, devenant la voix de l’Egypte. En 1934, avec la création de la radio égyptienne, sa voix devient accessible à tous et non plus seulement au public restreint de ses concerts et à ceux ayant les moyens d’acheter des disques.

La diva est toujours restée d’une extrême discrétion sur sa vie amoureuse. Hormis son mariage en 1954 avec le médecin Hassan al-Sayyid al-Hifnaoui, qui dura jusqu’à la fin de ses jours, on ne lui connaît que de très rares relations. Notamment avec Sharif Pacha Sabri, le frère de la reine Nazli, à laquelle le palais et le roi Farouk s’opposent au moment où avec le vieux prince ils cherchent à officialiser leurs rapports. Puis avec le chanteur et compositeur Mahmoud al-Sharif laquelle se solde par un scandale provoqué par Mohammad al-Qasabgi qui rongé par la jalousie fait violemment irruption dans la chambre du couple. L’affaire finit par se répandre dans la presse et le roi Farouk lui-même décide d’intervenir.

Tous, amoureux secrets, amis et compagnons de route, puissants tirant bénéfice de la populaire diva qui chante les louanges du régime et du roi, craignent qu’elle ne cesse de chanter, comme cela arrive très fréquemment dans les sociétés arabes lorsqu’une chanteuse se marie. Sous la pression des uns et des autres, dont le roi en personne, l’union des deux amants finit par voler en éclats. Oum Kalthoum doit rester la voix de l’Egypte. Mais bien plus que sa voix, elle en incarne la figure féminine.

Le coup d’Etat des officiers libres de 1952 ne change pas les choses, bien au contraire. Oum Kalthoum est en marche pour la sacralité, au point d’être surnommée « La quatrième pyramide d’Egypte ».
Qaïs Saadi

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